Dans le cadre des travaux préalables au creusement du futur Canal Seine-Nord-Europe (liaison Seine-Escaut), une opération de diagnostic archéologique de grande ampleur a été menée entre 2008 et 2011 dans le nord de la France. A Havrincourt (Pas-de-Calais), la découverte de plusieurs niveaux de silex paléolithiques inclus dans une séquence loessique relativement épaisse (~ 6-7m) préservée sur un versant en pente douce exposé nord-est a débouché sur une opération de fouille sur une surface totale de 6 000 m2. Quatre niveaux paléolithiques en position primaire ont été mis au jour. Cette séquence a fait l'objet d'un travail de suivi stratigraphique en continu sur plus de neuf mois et d'une approche interdisciplinaire associant pédostratigraphie, sédimentologie, micromorphologie, paléontologie, malacologie, magnétisme environnemental, datations OSL et 14C. Sur la base de ces recherches, nous proposons : 1) une nouvelle séquence pédostratigraphique de référence pour le nord de la France, notamment en ce qui concerne le début du Pléniglaciaire inférieur et le Pléniglaciaire moyen (˷ 70-30 ka), 2) un nouveau canevas géochronologique régional pour le Dernier Glaciaire (datations par luminescence et radiocarbone) ainsi qu'une révision du schéma pédostratigraphique et chrono-climatique régional, et 3) la description et la datation d'une succession unique d'horizons périglaciaires comportant cinq réseaux de fentes associés à des gleys de toundra qui constitue une première séquence régionale de référence. Par ailleurs, la bonne conservation des niveaux archéologiques, associée à l'analyse pluridisciplinaire de la séquence pédosédimentaire et aux datations, débouche sur le calage chronostratigraphique et chrono-climatique précis des quatre niveaux paléolithiques fouillés incluant un ensemble exceptionnel attribuable au Paléolithique supérieur ancien (Gravettien ancien). Ces résultats et découvertes font d'Havrincourt une nouvelle séquence pédostratigraphique et archéologique de référence pour le Pléistocène supérieur de la France septentrionale et plus largement pour la zone loessique ouest-européenne.
La Formation de Waziers est constituée d'un dépôt alluvial limoneux surmonté de tuf calcaire et de tourbe. Elle est conservée dans un petit paléo-chenal de la rivière Scarpe-Scarbus, reconnu sur plusieurs centaines de mètres de long à l'entrée de la plaine de la Scarpe et daté de la fin du Saalien (SIM 6) et de l'Eemien (SIM 5e). La Formation de Waziers a été préservée à la faveur d'une défluviation ultérieure à son dépôt puis de son scellement par des dépôts fluvio-éoliens de la fin du Pléniglaciaire weichselien (SIM 2). La synthèse de l'ensemble des données et études (lithologie, paléontologie, géochronologie, reconstitution des paléotem- pératures) fournit une image cohérente de l'évolution de la zone depuis la fin du Saalien vers 130 000 ans environ jusqu'à la fin du Pléniglaciaire weichselien. À la base, les alluvions sablo-graveleuses (témoignant d'écoulements dynamiques) puis limoneuses (Membre 1) se déposent dans le fond de vallée à la fin du glaciaire saalien dans un contexte d'amorce de reconquête forestière. Un plan d'eau se développe ensuite, permettant le dépôt d'une craie lacustre dans un marais à Characées puis d'une tourbière (Membre 2, env. 1,5 m d'épaisseur) dans un contexte forestier. Un cours d'eau chenalisé circule encore dans la tourbière, au moins par intermittence, érodant et déposant localement des alluvions limoneuses. La partie inférieure du Membre 2 enregistre la transition du glaciaire Saalien (fin SIM 6) à l'Interglaciaire eemien (début SIM 5e) dans un contexte de sédimentation continue de plus en plus organique. La partie supérieure du Membre 2 enregistre l'optimum climatique eemien dans un faciès de tourbe typique, puis l'amorce d'une dégradation climatique. Au toit du Membre 2 (et celui de la Formation) est observée la limite d'une érosion majeure qui n'a pas permis l'enregistrement de la fin de l'Interglaciaire eemien. À la base du Membre 3 (env. 3 m d'épaisseur), des écoule- ments concentrés dans des ravines profondes sur sol gelé démantèlent et remanient les dépôts sous-jacents. Ensuite, des écoulements (attribués au Pléniglaciaire weichselien) déposent une nappe de graviers de craie sur l'ensemble du site dans une bande active plus large (probable tressage). La majeure partie du Membre 3 est constituée de dépôts limono-sableux fluvio-éoliens et d'un mince dépôt loessique terminal. La qualité de l'enregistrement sédimentaire de la formation de Waziers, avec notamment un dépôt continu au moment de la transition climatique du Saalien à l'Eemien, et l'abondance des éléments paléontologiques (bois et macrorestes végétaux, macro et méso-faune, microfaune, avifaune, malacofaune…) dans les dépôts eemiens font de celle-ci un témoin exceptionnel pour les recons- titutions paléoenvironnementales et paléoclimatiques de cette période. La présence de niveaux témoignant d'occupations humaines récurrentes dans les Membres 1 et 2 (éclats isolés, amas de débitage, traces d'actions anthropiques sur faune) font de ce site et de cette séquence une référence pour la compréhension des dynamiques de peuplement humain entre le SIM 6 (Saalien) et le SIM 5e (Eemien) dans le Nord de la France et plus largement dans le Nord-Ouest de l'Europe.
Le bassin versant cotier etudie de la baie de Seine est limite en aval par la mer de la Manche et en amont par des hauts reliefs (zone bocaine et collines du Perche). Les fleuves principaux sont la Seine, la Touques, la Dives et l’Orne. La proximite du niveau de base en fait un secteur privilegie pour l’erosion fluviatile lors des bas niveaux marins ou de comblement alluvial et d’influences estuariennes lors des remontees du niveau marin relatif. L’information disponible sur chacun de ces fleuves n’etant pas identique et de meme qualite, il est necessaire d’utiliser et de coupler des methodes d’analyses geomorphologiques, sedimentologiques, petrographiques,… pour etudier les reliques de depots fluviatiles quaternaires. De nouvelles datations par ESR de ces terrasses completent les datations deja existantes.
Au Pleistocene moyen et superieur, debutent l’encaissement d’un reseau fluviatile armoricain initie a la fin du Pleistocene inferieur et la formation des terrasses fluviatiles. Le drainage de la Touques et de la Vie est regulier a travers le plateau d’argiles a silex, puis la craie. Le drainage de la Dives est controle par les reliefs de la zone bocaine au sud et par le talus du pays d’Auge au sud. La Seine est alimentee par un plus vaste bassin versant. Elle presente une architecture fluviale sinueuse transportant une charge sableuse a graveleuse fluviatile importante, s’ecoulant a travers le plateau des argiles a silex et de placages de sables tertiaires. Son cours se poursuit en baie de Seine et recoit les apports des autres fleuves cotiers (Orne, Dives et Touques). Lors d’interstades saaliens, le niveau marin remonte les precedents chenaux fluviatiles ; des influences estuariennes sont decrites a Tancarville et jusqu’a Elbeuf. Cette paleogeographie se repete lors du haut niveau marin de l’Eemien. Durant la derniere phase glaciaire weichselienne, la Dives et la Touques poursuivent leur migration d’ouest en est, dans le sens du pendage des couches geologiques, par des phenomenes de capture, tandis que le cours de la Seine migre d’est en ouest. Des controles structuraux, climatiques et eustatiques s’exercent sur le developpement des reseaux de drainage et dont il ne reste le plus souvent que les terrasses comme temoignages.
Le controle structural participe au faconnement du bassin versant cotier ; il est a l’origine de l’etendue et de la topographie du bassin versant cotier et s’exerce a plusieurs echelles. Le soulevement polyphase tertiaire du Massif armoricain a faconne le bassin versant cotier de la baie de Seine, en creant les hauteurs des collines du Perche et leur prolongement occidental dans la zone bocaine, et en lui donnant une pente naturelle aux ecoulements des eaux de surface en direction de la mer de la Manche. Le bombement du Perche controle l’organisation radiale du drainage de la Risle, la Touques, la Dives et l’Orne vers la baie de Seine, selon la pente regionale. Ce drainage radial participe au decapage des terrains mesozoiques. Le controle structural s’exerce egalement a travers la structuration monoclinale des terrains mesozoiques de la bordure occidentale du Bassin parisien, avec un pendage des couches vers le NE.
Le controle climatique s’exerce a plusieurs echelles dans l’evolution morphologique de ce bassin versant cotier. A partir du Pleistocene moyen, les cycles glaciaires/interglaciaires (duree moyenne de 100 000 ans) faconnent le bassin versant et son reseau de drainage. Les incisions fluviatiles de courte duree interviennent aux changements climatiques froid/chaud ou chaud/froid, mais dans le detail, le nombre des phases d’incision fluviatile enregistrees est souvent moins nombreux que celui des transitions climatiques. La sedimentation fluviatile est moins bien preservee a la transition froid/chaud qu’au passage chaud/froid, en raison de modalites differentes dans les incisions. A la transition tempere/froid, les processus de migration laterale deviennent predominants sur l’incision fluviatile verticale. Lors des cycles de rechauffement/refroidissement (duree moyenne de 10 000 ans), l’evolution du systeme fluviatile est determinee par des parametres physiques (precipitations neigeuses, ruissellement des eaux, cycles gel/degel) et biologiques (couvert vegetal). La dissymetrie des vallees est expliquee par des processus periglaciaires, mais, dans un meme bassin versant, des vallees symetriques et dissymetriques coexistent, marquant le role tout aussi efficace des lithologies. Enfin, sous un meme climat, les fleuves periglaciaires pleistocenes ne se resument pas aux styles fluviatiles en tresses et meandriformes.
Le controle eustatique intervient enfin dans la morphologie d’un bassin versant cotier. En domaine cotier, les fleuves debouchent en mer de la Manche qui a ete exondee a plusieurs reprises au Quaternaire. Le bassin versant cotier de la baie de Seine presente plusieurs estuaires pleistocenes de taille variable, etroite (Orne), tres large (Dives), moyenne (Touques) ou tres importante (Seine) dont la geometrie et l’etendue sont fonction des lithologies affleurant a terre. Lors des phases interglaciaires quaternaires, l’influence eustatique est enregistree en amont des cours d’eau, dans les depots argilo-sableux a sableux sous influences tidales (meandre de la Seine, a Elbeuf).
Les cours aval de la Dives et de la Touques migrent lateralement d’ouest en est, entre le Pleistocene moyen et superieur, en envisageant la repartition de leurs terrasses respectives. Cette migration apparait conforme a la structuration monoclinale et au pendage des terrains mesozoiques vers l’est, expliquant egalement le recul progressif de la cuesta cenomanienne, en direction de la vallee de la Seine. Il y a eu interference entre la structuration monoclinale et le soulevement tertiaire. En revanche, la Seine migre lateralement du NE vers le SW, entre le Pliocene inferieur et le Pleistocene superieur. Cette migration est aussi observee en baie de Seine. Ce comportement different de l’evolution plio-pleistocene du drainage bas normand (Dives, Touques) et de la Seine appartenant au meme bassin versant cotier de la baie de Seine et evoluant sous un meme climat suggere un controle structural de l’ecoulement de la Seine plio-quaternaire.